Intention
Décrire la structure politique et son fonctionnement. Caractériser les groupes sociaux qui y sont représentés et les premiers débats qui y sont échangés.
1791 - 1840
Décrire la structure politique et son fonctionnement. Caractériser les groupes sociaux qui y sont représentés et les premiers débats qui y sont échangés.
En 1792, la population du Bas-Canada élit ses premiers députés lors de la première élection législative suivant l’adoption de l’Acte constitutionnel. Ceux qui remportent les élections représentent la population à la Chambre d'assemblée de la colonie. Cette chambre d’assemblée élue fait partie du Parlement du Bas-Canada, qui inclut également un conseil législatif dont les membres sont nommés à vie par le gouverneur. Alors que le Parlement du Bas-Canada détient le pouvoir législatif, le gouverneur et le Conseil exécutif détiennent le pouvoir exécutif.
La nouvelle chambre d’assemblée élue enthousiasme plusieurs citoyens du Bas-Canada, car elle répond aux revendications de nombreux colons britanniques et canadiens. Une partie de la société coloniale perçoit cette institution comme un moyen de prendre part au parlementarisme pour tenter d’exercer une influence sur l’adoption des lois et sur les décisions politiques. Sous l’Acte constitutionnel, l’influence des députés est toutefois restreinte par le gouverneur, le Conseil exécutif et le Conseil législatif qui peuvent facilement rejeter les projets de loi de la Chambre d’assemblée. De plus, les députés ne peuvent pas former le gouvernement, ce qui les empêche d’accéder au pouvoir exécutif.
Au début du 19e siècle, l’élite politique, économique et religieuse britannique ainsi que certains seigneurs canadiens forment une oligarchie autour du gouverneur. Cette oligarchie a accès aux postes les plus importants au plan politique : hauts fonctionnaires, juges, officiers militaires ainsi que conseillers exécutifs et législatifs. Les liens entre l’élite britannique et le gouvernement permettent aux marchands anglais et écossais d’exercer leur emprise sur des activités économiques comme le commerce du bois. Cette oligarchie qu’on appelle la « clique du Château » représente les intérêts d’une minorité démographique anglophone qui détient davantage de pouvoir politique et économique que la majorité démographique francophone du Bas-Canada.
Depuis la création de la Chambre d’assemblée, de plus en plus de Canadiens tentent de défendre leurs intérêts face aux Britanniques en participant à la vie politique. Plus spécifiquement, des membres de la bourgeoisie professionnelle canadienne (avocats, notaires, arpenteurs, militaires et médecins), des seigneurs et même quelques agriculteurs se présentent aux élections et se font élire comme députés. En raison de leur poids démographique au Bas-Canada, les Canadiens francophones et catholiques composent la majorité des députés de la Chambre d’assemblée, ce qui leur permet de défendre leurs intérêts face à la minorité britannique qui contrôle le gouvernement et le conseil législatif.
Au fil des législatures, deux blocs de députés se forment parce qu’ils s’opposent assez fermement sur toutes les questions politiques. D’une part, de nombreux députés francophones et catholiques se rassemblent au sein du Parti canadien. Ce parti politique majoritaire exerce alors une influence considérable sur les débats parlementaires, mais peu sur les décisions officielles du gouvernement. D’autre part, des députés anglophones et protestants forment le Parti des bureaucrates, qui demeure minoritaire au sein de la Chambre d’assemblée. Malgré la division des partis politiques au plan linguistique, chaque député est libre d’appuyer le parti de son choix, ce qui mène par exemple certains anglophones à soutenir le Parti canadien.
Les divisions au sein de la Chambre d’assemblée, l’opposition entre le Parti canadien et le Parti des bureaucrates, se manifestent aussi dans la presse écrite. Par exemple, des politiciens créent des journaux d’opinion comme le Quebec Mercury pour les anglophones protestants et le Canadien pour les francophones catholiques. Chaque journal diffuse des idées ou des positions politiques qui reflètent souvent les intérêts du groupe linguistique et religieux qu’il appuie. En plus de vouloir influencer la vie politique, la presse écrite cherche également à éduquer et à divertir son lectorat. Pour la majorité de la population, les journaux représentent la principale source d’accès aux savoirs dans la première moitié du 19e siècle.
Entre 1791 et 1840, l’élite britannique s’appuie sur le pouvoir du gouverneur, du conseil exécutif et du conseil législatif pour maintenir son influence sur la colonie du Bas-Canada. De leur côté, les Canadiens comptent sur la Chambre d’assemblée pour défendre leurs droits linguistiques et religieux. Ils revendiquent aussi un plus grand pouvoir pour les représentants élus par la population. Ces revendications mènent à de nombreux débats parlementaires entre les députés du Parti canadien et du Parti des bureaucrates au sujet de l’adoption des lois. Même si le Parti canadien exerce une influence considérable sur les projets de loi adoptés à la Chambre d’assemblée, ces projets peuvent toujours être rejetés par le Conseil législatif ou par le gouverneur qui détient un droit de véto.
Les revendications du Parti canadien lors des débats parlementaires témoignent de la montée d’un nationalisme canadien, soit l’attachement au caractère francophone, catholique et agricole de la population du Bas-Canada. Par exemple, lors de la querelle des prisons, les députés du Parti canadien souhaitent que ce soit les marchands britanniques qui en financent la construction plutôt que les seigneurs canadiens. Ces députés estiment qu’ils représentent les intérêts de tous les Canadiens en s’opposant à la taxation des terres détenues par les seigneurs.
Dès le début des années 1800, la presse écrite témoigne aussi de l’émergence d’un nationalisme canadien, en particulier le journal Le Canadien fondé en 1806 par Pierre-Stanislas Bédard. Député à la Chambre d’assemblée entre 1792 et 1812, Bédard utilise son journal pour soutenir les revendications du Parti canadien à la Chambre d’assemblée et pour défendre les intérêts de ce qu’il nomme la « nation canadienne ». En quelques années, Le Canadien intensifie sa critique du pouvoir que détient la minorité anglophone par l’entremise du gouverneur et du conseil législatif au détriment de la majorité francophone de la Chambre d’assemblée élue par la population.
Le gouverneur James Craig et certains membres du Conseil législatif perçoivent le nationalisme canadien des députés et de la presse écrite comme une menace pour la stabilité politique de la colonie et le projet d’assimilation des Canadiens. En 1810, le gouverneur Craig ordonne d’ailleurs la fermeture du journal Le Canadien, la saisie de tout le matériel d’impression et l’arrestation d’une vingtaine de personnes qui y contribuent. La réaction de l’oligarchie britannique témoigne d’un nationalisme britannique qui se manifeste également dans la colonie, notamment à travers la presse écrite anglophone. Par exemple, le journal Quebec Mercury soutient l’assimilation des Canadiens à la culture britannique, l’abolition du régime seigneurial et même l’union du Haut-Canada et du Bas-Canada. Cette union aurait pour objectif de rendre les anglophones majoritaires au sein d’une nouvelle chambre d’assemblée commune.
Dans une lettre au gouvernement britannique, le gouverneur James Craig identifie sa préoccupation pour la montée du nationalisme canadien :
« Quant à la probabilité que [les Canadiens] ont en vue de revenir à leur propre gouvernement, il peut être allégué qu’ils ont été jusqu'à présent de paisibles et fidèles sujets. [...] Leurs habitudes, leur langue et leur religion sont restées aussi différentes des nôtres qu'avant la conquête. En vérité, il semble que ce soit leur désir d'être considérés comme formant une nation séparée. La Nation Canadienne est leur expression constante [...]. »
Source : James Craig, Lettre du gouverneur James Craig au secrétaire d’État aux Colonies Lord Liverpool, 1 mai 1810, en ligne sur solon.org.
Entre 1791 et 1840, les autorités coloniales poursuivent leurs efforts pour assimiler les Canadiens à la culture britannique entre autres par le biais de la religion et de l’éducation. À la demande de ces autorités, l’Église anglicane crée d’ailleurs le diocèse de Québec et nomme Jacob Mountain comme évêque de ce premier territoire protestant au Bas-Canada. Dès son arrivée de la métropole, l’évêque Mountain siège également sur les conseils exécutif et législatif, ce qui lui donne suffisamment de pouvoir pour tenter d’implanter la religion anglicane dans cette colonie dont la population est majoritairement catholique.
Grâce à son pouvoir politique, l’évêque Mountain orchestre la construction d’une cathédrale anglicane à Québec, il freine la création des paroisses catholiques et il plaide pour l’ouverture d’écoles en vue de faciliter l’assimilation des Canadiens. En 1801, une loi fonde d’ailleurs l’Institution royale pour l’avancement des sciences, ce qui mène à la création d’environ quarante écoles anglophones dans les villes et les campagnes du Bas-Canada. Ces écoles royales n’atteignent toutefois pas leur objectif d'assimilation en raison du peu d'inscriptions chez les francophones et des réticences du clergé catholique à y contribuer.
Malgré les efforts de l’Église anglicane, l’Église catholique maintient son influence sur la population du Bas-Canada par l’entremise du bas clergé catholique qui encadre la vie spirituelle des habitants. Dans les années 1820 et 1830, l’influence des idées libérales et républicaines sur le nationalisme canadien entraine toutefois des divergences d’opinion entre le haut clergé catholique et une partie de la société bas-canadienne, en particulier dans le contexte des rébellions de 1837 et 1838.